Discours de Madame Pascale Trimbach, préfète de la Meuse, pour la cérémonie du 77ème anniversaire des massacres de la vallée de la Saulx

Mis à jour le 08/11/2021

     

COUVONGES

Le 29 août 2021

Seul le prononcé fait foi

Messieurs les maires de Couvonges, de Beurey-sur-Saulx, de Mognéville, de Robert-Espagne et de Trémont-sur-Saulx,

Monsieur le Député,

Monsieur le Sénateur,

Monsieur le Président du Conseil départemental,

Madame la Conseillère régionale,

Madame la Présidente de la Communauté de Communes du pays de Revigny-sur-Ornain,

Mesdames et Messieurs les Officiers et Chefs de Service,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les membres des familles des victimes,

Mesdames, Messieurs,

C’est avec une profonde émotion que je suis aujourd’hui parmi vous pour commémorer les massacres de la vallée de la Saulx. Cette cérémonie est d’autant plus poignante que des familles de victimes y assistent, et je les en remercie.

La France est une vieille nation où peu d’endroits, au cours de sa longue histoire, ont dû être épargnés par les drames ou les guerres. Mais la mémoire revêt une importance particulière en Meuse. Nos villages, nos routes, nos monuments et jusqu’à nos paysages, reverdis mais encore mutilés par les obus de 14-18, nous rappellent chaque jour que ce département français fut le théâtre d’épisodes glorieux et de souffrances terribles. Le général de Gaulle le disait bien, lors de sa visite à Bar-le-Duc en juillet 1946 : « Pour regarder les choses en face, alors surtout qu'elles sont difficiles, aucun lieu ne convient mieux que les abords de notre Meuse. »

Si les combats de 14-18 avaient ici fait rage, si Verdun avait marqué l’entrée dans l’ère terrible de la guerre industrielle, la vallée de la Saulx pouvait espérer, en août 1944, sortir du conflit sans avoir connu les grands deuils et les ruines. L’Occupation, bien sûr, avait apporté ses douleurs et ses peines, mais la présence allemande en ces lieux était restée discrète.

Depuis l’annonce du débarquement, les habitants de Couvonges, de Robert-Espagne, de Beurey-sur-Saulx, de Mognéville et de Trémont-sur-Saulx espéraient le retour des jours heureux, après quatre années vécues dans le traumatisme de juin 1940. Dans la lumière des jours d’été, la patrie se libérait et redressait la tête. Contrairement à ce que répétaient les chantres de la collaboration, l’Allemagne ne vaincrait pas.

Hélas ! Bien que l’occupant, depuis 1940, eût commis des exactions, il n’avait pas, il est vrai, donné toute la mesure de sa cruauté comme dans les malheureux pays de l’Est. Mais à partir de 1944, alors que les Russes ont mis un coup d’arrêt définitif aux conquêtes hitlériennes au prix de sacrifices inouïs, que les Alliés débarquent en Normandie et que les mauvaises nouvelles s’accumulent pour le Reich, la répression s’intensifie et la folie criminelle se déchaîne. Ce ne furent pas seulement les SS, comme à Oradour-sur-Glane, qui mirent la France à feu et à sang. Ce fut aussi l’armée régulière, la Wehrmacht. Les victimes de la vallée de la Saulx eurent le malheur d’être sur la route du 29e régiment de la 3ème division de Panzer-Grenadiers.

86 habitants trouvèrent la mort au milieu des incendies et des pillages. La plus jeune des victimes, Marie-Louise Caron, avait seize ans. Quel plus grand scandale que le massacre des innocents ? Les hommes qui participèrent à ce carnage tirèrent sur une jeune fille sans défense, tout comme ils laissèrent un vieillard périr dans son lit, à la merci des flammes.

À Robert-Espagne comme à Couvonges, les croix faites de poutres calcinées récupérées dans les ruines témoignent contre l’oubli : les troupes d’Hitler sont passées par là.

Au président de la cour d’assises, qui, avant le verdict, lui demandait s’il avait à déclarer quelque chose pour sa défense, Klaus Barbie, qui avait sévi à Lyon, avait consenti à lâcher ces quelques mots : « C’était la guerre, et la guerre, c’est fini ». Cet argument s’entendrait pour un soldat qui, dans l’honneur, a dû tuer l’ennemi sur le champ de bataille, avant de lâcher son fusil lorsque les hostilités cessent. Mais les membres du 29e régiment ont sali leur uniforme et sont tombés dans le plus infâme déshonneur. Il est des crimes imprescriptibles. Peut-être, pour certains, n’existe-t-il pas de pardon.

L’amitié entre les peuples, elle, a été en revanche patiemment reconstruite. Nous avons connu avec l’Allemagne une longue guerre discontinue, de 1870 à 1945, et nous sommes aujourd’hui deux voisins en paix. Pas un écolier français ne regarderait son camarade d’outre-Rhin comme un ennemi. Cette réconciliation extraordinaire est une victoire commune et une leçon pour tous ceux qui voudraient vivre perpétuellement dans la rancune et le ressentiment.

Chaque fois que nous nous souvenons des jours difficiles, regardons aussi vers l’avenir, car c’est notre devoir de faire en sorte que ces deux belles nations continuent de se chérir et de se respecter. L’époque est troublée. Soyons vigilants et prenons garde que les difficultés économiques et les crises actuelles ne nous éloignent pas. Qui peut dire que le lien qui nous unit est immuable ? Il n’est pas besoin de s’entretuer pour cesser d’être amis.

Mesdames, Messieurs, nous honorons aujourd’hui les morts. Soyons fidèles à leur mémoire. Toujours nous devons transmettre le souvenir des héros et des martyrs français.

Vive la République, Vive la France !

Je vous remercie.